Entretien avec Jérôme Bareille, formateur et expert Adobe

Les origines

« J’ai commencé comme graphiste et illustrateur et j’ai très vite travaillé en sous-marin pour des agences. Je faisais aussi bien du pack que de l’identité visuelle mais aussi de la maquette ou de l’illustration pour des clients comme Urgo, Osram, Haribo ou le Parlement européen. Depuis mes années d’étude, j’ai toujours eu une curiosité pour la technique et, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré tester toutes les possibilités offertes par les logiciels ».
Rapidement, Jérôme se rapproche d’Adobe : d’abord via les programmes bêta, où il teste les outils avant leur sortie, puis au sein des cercles d’experts invités à partager leurs retours d’expérience. « Ça m’a permis d’avoir une longueur d’avance sur les outils, mais surtout de rencontrer des gens passionnants, chez Adobe comme d’autres issus de grands studios : Pixar, DreamWorks, Ubisoft… ». Cette expertise l’amène ensuite à rejoindre la team Wacom France : cinq années de salons et de démonstrations où il accompagne joailliers, designers et illustrateurs dans la prise en main des tablettes. « Je venais du dessin traditionnel et comprendre comment ces outils pouvaient prolonger la main m’intéressait vraiment. »

Enseigner pour comprendre

Très tôt, la transmission s’impose. Sa première expérience de formateur remonte à 1999 : « J’étais étudiant et un de mes profs m’a demandé de faire le cours sur Flash car je le connaissais mieux que lui ! ». Depuis, Jérôme n’a cessé d’enseigner. D’abord dans les universités et IUT, puis dans deux écoles où il intervient encore : l’école Émile-Cohl à Lyon et l’ESADD à Dijon.

À Émile-Cohl, il initie les étudiants à la peinture numérique et au matte painting : « ce sont des élèves avec une base académique (dessin, sculpture, peinture) très solide. Mon rôle, c’est de leur montrer comment le numérique peut prolonger ces savoirs sans en trahir le sens. » À l’ESADD, plus orientée design et digital, il encadre des projets en lien avec les entreprises locales et accompagne les étudiants dans l’évolution des métiers (IA, design d’interfaces…)

Aujourd’hui, la formation initiale occupe environ la moitié de son temps. Le reste se partage entre la formation continue (chez Swash évidemment), des missions pour ses clients directs et toujours beaucoup de veille. 

Adobe MAX : promesses et limites

Suivre Adobe MAX fait partie de ses rituels. L’édition 2025, placée sous le signe de l’IA, a reçu des retours partagés. Jérôme a retenu « quelques nouveautés dans les logiciels historiques mais surtout une nouvelle approche transversale. Adobe s’ouvre à des partenaires extérieurs : Topaz, Nano Banana, Flux… C’est une manière d’admettre que l’innovation vient aussi d’ailleurs. »

Parmi les annonces qui l’ont marqué : l’assistant IA de Photoshop, la rotation générative dans Illustrator, les nouveaux filtres paramétriques et les ponts entre 2D et 3D. « Ce qui me semble le plus prometteur, c’est la logique de workflow global : on pourra passer sans friction de la prise de vues à la publication, grâce à des actions automatisées et à une cohérence graphique d’identité de marque maintenue. »

Mais la promesse la plus intéressante lui semble être le Projet Graph, dévoilé en sneak peek : « C’est une brique nodale qui permettra de créer ses propres pipelines en piochant dans Illustrator, InDesign, Photoshop… Une entreprise pourra se fabriquer son mini-outil sur mesure, une interface dédiée à son usage, tout en s’appuyant sur la fiabilité de l’écosystème Adobe. »

Une vision ambitieuse, mais encore en gestation : « Aujourd’hui, beaucoup de choses sont dans les tuyaux. Le vrai enjeu sera la mise à disposition effective pour le plus grand nombre. »

Les outils méconnus (ou oubliés)

Lorsqu’il forme des graphistes confirmés, Jérôme aime surprendre avec de « petites fonctions oubliées  ». Par exemple, sur Illustrator, la loupe du panneau Calques, la sélection progressive et la copie en conservant les calques ou, sur Photoshop, la fusion par comparaison sur (idéale pour plaquer une texture), l’affichage du HUD de couleur ou la déformation d’enveloppe non destructive. « Ces outils existent parfois depuis dix ans ; les gens passent à côté parce qu’ils ne les ont jamais vus en action. »

Et demain, que devient le designer graphique ?

Pour Jérôme, on ne pourra plus se singulariser par sa maîtrise logicielle : « Les outils deviennent de plus en plus accessibles ; le vrai enjeu, c’est la culture du regard ». Il insiste sur deux qualités clés : la curiosité et la culture générale. « Il faut lire, aller au musée, comprendre la politique, la nature, la société. C’est ça qui nourrit un projet ». À ses étudiants, il répète que le dessin académique et le geste manuel garderont une valeur rare : « On le voit déjà : certaines marques revendiquent le fait main comme un acte de résistance ». 

Et pour les professionnels, il anticipe une mutation profonde : « Les seniors devront devenir des chefs d’orchestre. Ils devront savoir orchestrer les IA, les modèles, les agents, comprendre les workflows et garder la vision d’ensemble ». Il va falloir s’ouvrir, collaborer avec d’autres profils (chercheurs, ingénieurs, sociologues) pour faire émerger des réponses plus riches. « Ceux qui réussiront seront ceux qui auront une approche systémique, capables de relier les disciplines et de garder le sens du message ».

Ressources et veille

Quelques liens utiles (profils LinkedIn, Instagram ou chaînes Youtube) :

Designers remarquables

• Neri Oxman
• Iris van Herpen
• Zaha Hadid

Créateurs IA & design

• Jérémy Gross
• Étienne Mineur
• Jesus Serrano
• Vincent Smadja

Divers

• IA Éthique Insider
• Le Code a Changé
• Bg2 Pod
• Ludovic Salenne