H5 : du graphisme de la French Touch à la critique des marques
Le studio H5 a marqué l’histoire du design français. Entre expérimentations typographiques, détournement des codes publicitaires et regard acéré sur la société de consommation, son œuvre reste également indissociable de la French Touch.
C’était il y a 30 ans, au milieu des années 90 et la French Touch trouvait son image graphique avec H5, un studio de création fondé par Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet.
Été 1993, Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet sortent diplômés de Penninghen. Ils habitent Versailles et le hasard d’une soirée fait qu’Alex Gopher et Étienne de Crécy leur proposent de réaliser les pochettes de leurs premiers disques. De mettre en forme graphique ce qui va devenir l’image emblématique de la French Touch, ce courant électro qui va bientôt déferler sur les dance floors du monde entier.
Alex Gopher EP, première pochette de H5 en 1995
Ils créent H5 l’année suivante. L’époque est à l’expérimentation, à la découverte et la fascination pour l’univers numérique où musiciens et graphistes travaillent avec les mêmes outils, sur les mêmes ordinateurs. Un esprit ludique et DIY (Do It Yourself) qui favorise les connexions et les collaborations entre les individus du même âge.
Les années 80 ont décloisonné les disciplines, ouvert les frontières. Le monde du graphisme se nourrit autant de musique, que d’art contemporain, de mode et de luxe que de design objet.
Les labels musicaux cherchent des photographes stars pour la promotion de leurs artistes. Avec une passion des filtres Photoshop, avec beaucoup d’effets.
1993, Jean-Baptiste Mondino fait la pochette du premier album solo de Bjork, « Debut », avec un très beau portrait de la chanteuse islandaise.
Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet vont prendre le contre-pied de tout cela avec un graphisme résolument typographique.
Avec des noms d’artistes traités comme des logotypes commerciaux. Pas de gros budgets, pas de portraits des musiciens et déjà le culte de l’anonymat que l’on retrouvera à maintes reprises dans la French Touch. Une économie de moyens contrebalancée par de la créativité.
« J’ai imaginé un graphisme qui tienne dans la durée », explique Ludovic Houplain
Et, très vite, la magie va opérer entre H5 et Air, Étienne de Crécy, Alex Gopher, Sébastien Tellier, Vitalic ou Arnaud Rebotini.
S’il ne fallait garder qu’une pochette de tout cela, ce serait « Super Discount » d’Étienne de Crécy sorti en 1997. Une référence assumée à l’univers de l’hyper-consumérisme de la grande distribution. Typo commerciale, noir et blanc. Fond jaune. Efficacité maximale.

L’exposition « H5. Voir la French touch : 30 ans de graphisme et de musique électronique ! », à l’Espace Richaud, à Versailles en mars 2024
Et déjà l’envie de jouer avec les codes du marketing, les détourner, se les approprier.
« Nous avons raconté un monde où tout n’est plus que communication et où l’image des choses est plus importante que les choses elles-mêmes », confiera Ludovic Houplain.
En miroir des pochettes de disques, les clips des années 90 étaient souvent centrés sur le groupe. Avec H5, la rupture va être totale, il n’y aura plus de groupe, plus de musiciens, plus personne. À la place, une narration qui va permettre au studio de création de se démarquer.
« The Child », 1er clip de H5 pour Alex Gopher, 1999
« The Child » , le clip d’Alex Gopher en 1999, va devenir la pierre angulaire pour H5, un clip culte réalisé en animation typographique en parfaite cohérence avec les pochettes de disques.
« On ne savait pas filmer les gens, on ne savait pas faire de photographie… Du coup on a commencé par faire de la typographie. On a tout fait à l’instinct, à l’intuition ». Le résultat est spectaculaire, et séduit le public anglo-saxon.
En 2001, Antoine Bardou-Jacquet quitte le collectif pour se consacrer à temps plein à sa carrière de réalisateur.
En 2002, le clip « Remind Me » de Röyksopp parcourt la journée d’une employée de bureau, il sera créé uniquement à l’aide de visuels de graphisme d’information animés. Là encore, distanciation. Le clip remportera le prix du meilleur clip vidéo aux MTV Europe Music Awards 2002.
« Remind Me » de Röyksopp, 2002
Puis la French Touch va s’essouffler et l’industrie musicale connaître une réduction de ses budgets. Quand une rencontre improbable marque une nouvelle étape. C’est Georges Harrison qui contacte H5 pour un projet d’animation sur la nature et l’écologie. Le studio commence à travailler, mais l’ancien Beatles va décéder quelques mois plus tard, en novembre 2001.
Remise en question pour Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet qui ne comptent pas laisser tomber l’aventure. Pour mener à bien financièrement ce qui deviendra « Logorama », H5 va travailler pour la publicité et évoluer en agence de communication.
Le court métrage d’animation de 15 min verra le jour en 2010.



« Logorama », c’est 3000 marques commerciales entrainées dans une narration des plus incroyables.
Deux policiers Bibendum Michelin traquent un dangereux malfaiteur, le clown Ronald McDonald au milieu d’un Los Angeles entièrement constitué de logos de marques. La mascotte Haribo va se retrouver blessée dans une course poursuite où l’on croise le Géant Vert. Avant que tout cela ne finisse en apocalypse…
« Logorama » sera primé aux Oscars en 2010 et Césarisé en 2011. Une consécration qui ouvre de nouvelles perspectives à H5.
La même année, H5 investit la chapelle des Jésuites à l’occasion du 21e festival de Chaumont. L’installation LIP (Logo in Peace) présente un cimetière des marques victimes de la guerre commerciale.
LIP (Logo in Peace), chapelle des Jésuites à Chaumont, 2010
En 2016, le clip réalisé pour « My Génération » de Mirwais sera un prolongement de « Logorama ». Une traduction vertigineuse des flux d’infos auquel nous sommes confrontés toute la journée à l’heure des réseaux sociaux. Un long travelling arrière où pop culture et politique se télescopent continuellement. On traverse des villes qui ne sont plus que des parcs d’attractions à thèmes. Donald Trump, Internet, les GAFAM, le porno, la bourse, le sport de haut niveau, la religion, l’art contemporain… Tout défile ici à vitesse grand V.
En 2012, H5 récidive dans le détournement et la critique de l’espace médiatique par la conception de l’exposition « Hello » à la Gaîté Lyrique à Paris.


On y découvrait une magistrale démonstration de la puissance de la communication visuelle et du marketing au service d’une fausse marque symbolisée par un aigle emblème de HELLO.
Statuaire classique, jingle, PowerPoint, affiche, jeux vidéo, clip, réseaux sociaux, HELLO occupe l’espace de la Gaîté Lyrique avec une logique de guerre commerciale, à la fois impressionnante, mais aussi inquiétante. Car, au bout du compte, si HELLO est une marque fictive, elle ressemble comme deux gouttes d’eau aux géants Apple, Google ou autre Coca Cola…
En 2023, H5 signera le tout dernier clip de Daft Punk, « Infinity Repeating »
Au milieu d’une accélération généralisée des supports et des formats, H5 semble, encore aujourd’hui, sentir l’air du temps et continue d’explorer de nouveaux territoires graphiques. 30 ans après les premières pochettes de la French Touch, Ludovic Houplain revendique cette liberté de ton pour toujours expérimenter : « Nous sommes comme des éponges : nous avons besoin d’aller partout, d’échanger, de nous oxygéner le cerveau : il ne faut pas institutionnaliser la création. Si ça devient corporate, c’est la mort ».
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Le rédacteur
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