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Graphisme et arts de la rue

Par Clara Debailly, publié le 28 mai 2024

Discipline récente, les arts de la rue représentent aujourd’hui un terrain de jeu idéal pour les graphistes. Les enjeux portés par les compagnies, fédérations et institutions interrogent les notions de spectacle, de culture et d’espace public. Milieu en perpétuel mouvement, hétérogène et décalé, il invite à concevoir des systèmes visuels ingénieux et souples, pour dire le foisonnement et l’effervescence, et à s’emparer des codes de la culture populaire pour construire de nouvelles images ludiques et exigeantes.

Une définition par la négative

Parmi les disciplines artistiques pour lesquelles les graphistes sont régulièrement invités à concevoir affiches et systèmes visuels, les arts de la rue font figure de cas à part. Le milieu, relativement récent, revêt au premier abord un caractère assez flou : les arts de la rue engloberaient « les spectacles ou les événements artistiques donnés à voir hors des lieux pré-affectés : théâtres, salles de concert, musées… »*. On retrouve donc au sein de leur corpus une large variété de formes et de propositions artistiques, puisque ce sont les lieux où ils sont donnés à voir, ou plutôt ceux dont ils s’échappent, qui les définissent. Nés de l’élan contestataire du milieu culturel au début des années 1970 – période où la question de la décentralisation des pouvoirs publics mais aussi des structures culturelles émerge – les arts de la rue témoignent de la volonté d’amener la culture au public, dans un geste de désacralisation de l’art et du spectacle, en se passant des lieux où ils ont traditionnellement cours, lieux désormais considérés comme des temples petits bourgeois. 

En parallèle de ce refus de se cantonner au pré carré des théâtres, et de refuser un certain verticalisme du sachant/performant vers le spectateur/recevant, de nombreux artistes souhaitent trouver de nouvelles écritures et dispositifs pour interagir avec les publics, en repensant l’espace de jeu. Ainsi, naît l’idée que la création doit s’inscrire et se nourrir du quotidien, et que le quotidien doit pouvoir accueillir la création. 

Avec cette institutionnalisation progressive, les arts de la rue gagnent en visibilité et, avec l’aide des graphistes, se dessine aujourd’hui un langage visuel qui joue de l’ambivalence de la discipline

L’appellation « Arts de la rue » recouvre donc une réalité protéiforme, qui recouvre aussi bien la performance que le cirque, la déambulation ou l’installation monumentale. Au fil des années, les compagnies se font un nom – qui, aujourd’hui, ne connaît pas Les machines de l’île à Nantes ? – et l’engouement des publics pour la discipline s’affirme. Si les premiers spectacles reposent sur une économie précaire, les acteurs du milieu ne tardent pas à se structurer et à se fédérer pour être mieux reconnus, mais surtout financés. Des festivals dédiés voient le jour, à l’image de l’emblématique festival d’Aurillac ou de Châlon dans la Rue. En 1997, on voit l’émergence de la Fédération Nationale des Arts de la Rue puis, 10 ans plus tard, la labellisation par le Ministère de la Culture des CNAR (Centres Nationaux des Arts de la Rue) signe la reconnaissance de l’État pour la discipline. Aujourd’hui, on dénombre pas moins de 1500 compagnies d’arts de la rue en France, et plus de 500 événements en lien, mais également une formation professionnelle dédiée (la FAI-AR), une cité des arts de la rue, et de nombreux livres qui traitent de son histoire (cf biblio en bas de page). Avec cette institutionnalisation progressive, les arts de la rue gagnent en visibilité et, avec l’aide des graphistes, un langage visuel qui joue de l’ambivalence de la discipline se dessine aujourd’hui. 

Une institutionnalisation et une sédentarisation à contre-courant ?

En 2007 donc, des CNAR voient le jour partout en France. Ce sont des lieux dédiés aux acteurs du secteur afin qu’ils soient accompagnés lors de leur création, et qui permettent de prolonger les créations intra-muros. En 2017, ils deviennent des CNAREP : Centres Nationaux des Arts de la Rue et de l’Espace Public. L’inclusion de la notion d’espace public est loin d’être anodine car elle ancre la discipline dans une réflexion politique sur ce qu’il représente aujourd’hui. À qui appartient-il, qui le dessine, qui l’habite, de quelle façon ?

Aux compagnies et aux graphistes de trouver des nouvelles façons d’exprimer les liens qui se tissent entre les créations et les lieux où elles s’inscrivent. Ces CNAREP peuvent paraître aller à contre-courant de la notion d’arts de la rue, puisqu’ils sédentarisent une discipline qui est au contraire destinée au mouvement et aux extérieurs. Mais les identités visuelles de ces lieux jouent justement sur leur double vocation et les graphistes réalisent des identités plurielles pour couvrir un champ disciplinaire large et mouvant, à l’image de l’identité développée par le studio formes fluides pour la Fédération nationale des arts de la rue, qui se décline à l’envi selon les antennes, évoquant le rayonnement de la fédération sur le territoire.

 

     

 

Autre acteur institutionnel d’envergure, Artcena, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre accompagne les professionnels des 3 secteurs pour construire leur projets, se former et promouvoir ces 3 disciplines. L’identité visuelle d’Artcena, conçue par l’atelier Tout va bien, propose un langage à la croisée de l’institutionnel et des codes populaires : les plaquettes reprennent des éléments visuels issus du monde de la représentation, mais leur donnent un aspect plus strict par la géométrisation des formes. On retrouve également des couleurs franches, évocatrices aussi bien du rideau de scène, des tenues, etc. Le logotype joue lui aussi l’ambivalence, entre une typographie sans serif très formelle et un filet qui relie les lettres à la manière d’une piste à suivre. 

   

 

La création d’un langage singulier qui revendique son origine populaire

Considéré comme l’événement fondateur de la discipline, le rassemblement « La Falaise des fous », en 1980, invite plus d’une dizaine de compagnies à se rassembler à Chalain, dans le Jura, pour proposer durant 2 jours des spectacles au public. L’affiche de l’évènement revendique une claire affiliation avec le milieu du cirque : fond rouge et typo jaune, arabesques, personnages en plein numéro… Avec les moyens limités des premières représentations, les systèmes visuels des arts de la rue se reposent le plus souvent sur des « gimmicks » visuels existants et aisés à reprendre. Ils permettent aussi de rassurer les publics, qui retrouvent des éléments leur permettant d’identifier le type de représentation proposée, quand bien même elle s’écarte de plus en plus des dispositifs connus jusqu’alors. Autre solution apportée, les villes porteuses des événements proposent d’assurer elles-mêmes la communication, avec un résultat d’une qualité relativement aléatoire.

Avec l’arrivée des dotations, par le biais des fédérations et centres nationaux, de nombreuses compagnies et villes font appel à des designers graphiques pour concevoir leurs supports de communication. L’exercice est retors : il s’agit de développer un nouveau système de signes qui permet à la fois d’englober l’ensemble des disciplines pouvant faire partie des arts de la rue, sans renier les origines populaires de la discipline, mais en donnant un gage de qualité. En s’inspirant des codes vernaculaires, de nombreux graphistes proposent aujourd’hui des identités et affiches qui composent un corpus à part entière. Pour l’identité du Citron Jaune, CNAREP des Bouches du Rhône, le studio Muro pioche dans l’esthétique des années 70, tandis que celle du Boulon – CNAREP du Nord – réalisée par le studio Corpus, va chercher du côté de l’enfance et du dessin.

 

   

Pour le festival d’Alba, Clémence Passot et Dorothée Caradec développent un système graphique aux couleurs pétaradantes, où l’iconographie vintage, rehaussée de dessins, évoque les détournements d’affiches et magazines au feutre.

 

Enfin, la dernière mouture de l’affiche du festival d’Aurillac, réalisée par Diane Boivin atelier, s’inspire des masques du théâtre No et joue avec le sens de l’affiche pour proposer un système où le spectateur prend une part active à la lecture de l’affiche, de la même manière qu’il fait partie intégrante des dispositifs proposés par les arts de la rue.

On aurait pu citer également le studio T&D qui, pour le Sonj festival, conçoit une identité qui fait la part belle à la typographie, et dont l’aspect organique permet de redessiner un territoire mouvant, façonné par les spectacles proposés.

Ou encore la picturalité de l’identité visuelle designée par Aeroclub studio, pour le festival Coup de Chauffe 2022 à Cognac, qui permet de proposer un vocabulaire abstrait et fort englobant tous les types de propositions du festival.

 

* définition donnée par http://www.ruelibre.net/

Pour aller plus loin :
Quelques lectures :
  • « 40 ans d’art de la rue » de Floriane Gaber, aux éditions Ici et là, 2009
  • « Le Triomphe du saltimbanque, Petit essai sur les arts de la rue » de Stéphane Georis, aux éditions Transboréal, 2011
  • « Les arts de la rue en France – Une logique de double jeu » de Hee-Kyung Lee, aux éditions de L’Harmattan, 2013
  • « Rue des arts – Productions artistiques et espace urbain » de Jean-Marc Lachaud, Martine Maleval, aux éditions de L’Harmattan, 2015

Le visuel utilisé pour illustrer l’article a été réalisé par le studio Corpus pour le Boulon.

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