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Impression & écologie : incompatibles ?

Par Clara Debailly, publié le 19 janvier 2024

À l’heure où les préoccupations environnementales infusent dans tous les domaines de la création, est-il bien raisonnable de continuer à produire des supports imprimés ?

La force de l’habitude

Quelles solutions existent pour concevoir des stratégies et objets de communication qui prennent en compte l’urgence climatique, tout en répondant aux demandes des commanditaires ? Quels impacts pour la relation client / designer, et quelles nouvelles esthétiques émergent de cette prise en compte ? La dernière décennie a vu les termes d’éco-conception ou écobranding* émerger, pour qualifier les nouvelles démarches de création soucieuses de l’environnement. Designers et clients, qu’ils soient institutionnels ou privés, s’inscrivent de plus en plus volontiers dans cette démarche, mais ne savent pas toujours comment procéder. Car il s’agit non seulement de réfléchir aux matériaux utilisés, mais également de repenser toute la commande en amont, depuis la stratégie de communication jusqu’aux trajets effectués par les objets designés. Ainsi, tous les acteurs sont partie prenante : du commanditaire jusqu’au designer, en passant par les imprimeurs, papetiers, etc. Petit tour d’horizon d’une révolution verte au pays de l’impression.

il est important de rappeler que de nombreuses décisions doivent se prendre en amont du projet

En amont : une réflexion avec le commanditaire 

Un nombre grandissant de commanditaires prête attention à l’impact écologique de leur communication et souhaite que les réponses apportées par les designers prennent en compte cet aspect. Les raisons sont nombreuses et variées : par conscience environnementale, souci de l’image de marque, pour réaliser des économies, ou encore simplement parce que le cadre légal les y oblige. Si la plupart attendent du designer des réponses techniques à cette problématique, il est important de rappeler que de nombreuses décisions doivent se prendre en amont du projet, afin de déterminer ensemble les choix des supports de communication et leur pertinence écologique. Car il existe de nombreux leviers qui peuvent être mis en place avant la phase de conception :

  • Dans un premier temps, le designer peut accompagner son client dans la synthétisation de l’information qu’il souhaite faire imprimer, et lui permettre de réaliser une baisse de l’encombrement de la page et économiser encre et papier. Il peut être force de proposition, en présentant des solutions hybrides, comme l’intégration de QR code pour amener sur une page plus détaillée sur le site Web du client par exemple.
  • Ensuite, on peut être amené à redéfinir plus précisément la cible et la stratégie de diffusion. La cible « grand public » représente souvent un gouffre en termes de production, tandis qu’une analyse bien menée en amont permet souvent de restreindre le public auquel on s’adresse et de gagner en efficacité. De nombreuses marques se font piéger par les offres dégressives à l’impression : pourquoi imprimer 300 flyers, si pour 50€ de plus je peux en avoir 1000 ? Au designer de se montrer pédagogue et d’expliquer que le ratio entre supports produits et cible atteinte ne sera pas forcément meilleur, et induira un gâchis conséquent. 
  • Il faut également envisager la pérennité des supports produits. Certaines informations pourront rendre obsolète un support imprimé très rapidement : une date ou une adresse qui pourraient être amenées à changer, le nom d’un interlocuteur plutôt que son service, ou encore une référence culturelle contextuelle… 
  • Enfin, pour choisir les prestataires en charge de la réalisation et la distribution du produit fini, il faut impérativement penser local ! Qu’importent les efforts fournis pour réduire l’information à l’essentiel et améliorer sa durabilité si vous faites finalement appel à des prestataires situés à 10 000 km… Bien entendu, selon le degré de technicité de l’objet designé, tous les acteurs locaux ne seront pas à même de le réaliser, mais il existe en France un maillage suffisamment dense d’imprimeurs et de diffuseurs pour envisager des solutions garantissant une moindre empreinte carbone.

La contrainte écologique comme vecteur de créativité ?

Une fois les périmètres du projet redéfinis, il est temps de s’atteler au design à proprement parler. Or, c’est à ce moment que de nombreux choix esthétiques pourront avoir un impact positif ou négatif sur le rendu final. Chacun de ces choix est laissé à la libre appréciation du designer, qui doit trouver le juste milieu entre prérogatives écologiques, lisibilité du message, et partis pris esthétiques. Ainsi, de nombreuses questions peuvent se poser à chaque étape de la mise en pages. À quel point peut-on réduire les marges, sans nuire à la lisibilité d’un document ? Faut-il restreindre les aplats de couleurs à tout prix ? A-t-on réellement l’utilité d’une fonte plus « graissée » ? 

Du côté des typographies, de nombreuses études ont tentées d’établir celles qui se montraient le plus économes en encrage : sur la première marche du podium, on retrouve ainsi le caractère Garamond, qui consommerait jusqu’à 24% d’encre en moins que les autres typographies, grâce à son faible encombrement sur la page, suivi de près par le Times New Roman, le Century Gothic, ou le Cambria. De plus en plus de fonderies développent également des alphabets évidés pour éviter un trop fort taux d’encrage, à l’image du Ryman eco**. 

ces choix [sont] laissés[s] à la libre appréciation du designer, qui doit trouver le juste milieu entre prérogatives écologiques, lisibilité du message, et partis pris esthétiques

Pour ce qui est de l’usage des couleurs et des images, le mieux reste évidemment de restreindre autant que possible leur usage, en leur préférant des trames par exemple – et de privilégier le CMJN aux couleurs Pantone, dont l’utilisation génère plus de nettoyage des machines d’impression. Quant à l’usage du noir, on constate qu’à 85 % d’intensité, il reste lisible tout en entraînant une véritable baisse de l’encrage. Enfin, en matière de format, il faut garder en tête que les formats originaux génèrent des chutes de papier inutilisables, au contraire des formats standards qui peuvent aisément être combinés sur un même rouleau. 

Si certains décrient les « sacrifices » entraînés par ces adaptations et craignent qu’à terme l’écobranding ne soit qu’une « mode » – au même titre que le flat design ou le skeuomorphisme –, d’autres au contraire voient dans ces contraintes l’occasion de renouveler leur approche de la commande et de rechercher de nouvelles esthétiques, plus justes et frugales, au service du message.

Créer des supports imprimés : des outils qui s’adaptent à la crise écologique 

Lorsqu’on sait qu’une encre d’impression offset « classique » met environ 450 ans à se décomposer et qu’il faut jusqu’à 7 kilos de bois pour produire une ramette de papier A4, la recherche de matériaux recyclés et biosourcés paraît incontournable. En bout de chaîne, les imprimeurs et papetiers ont su faire preuve d’une grande inventivité pour répondre aux préoccupations grandissantes des commanditaires et des designers. Longtemps boudé au profit du numérique, le secteur n’hésite plus à montrer patte blanche pour prouver sa véritable implication dans la lutte contre la pollution : on voit les imprimeurs labellisés Imprim’vert fleurir aux quatre coins de la France, opter pour les encres végétales plutôt qu’à bases d’huiles minérales (généralement privilégiées pour les impressions Offset et riches en COV – composés organiques volatiles, dont on sait désormais qu’ils sont hautement néfastes pour la santé et la planète), ou encore traquant leur empreinte carbone pour viser la neutralité à l’horizon 2030. 

Les fabricants d’encres et les papetiers ne sont pas en reste, et ne cessent de proposer des solutions innovantes : papier à base de feuilles mortes, fabriqué à partir de pierre, de bouse d’éléphant, ensemencé, encre à base d’algue, etc. Si la liste est longue, pour le moment aucune solution ne parvient à s’imposer à grande échelle. On note également que la plupart de ces papiers ne sont pas fabriqués en France, faute d’infrastructures suffisantes pour assurer leur production, mais à l’étranger, parfois au bout du monde, et que l’avenir paraît bien incertain pour la seule imprimerie française de recyclage de papier, la Chapelle Darblay…

 
Pour se repérer dans les nombreux labels existants en termes de papiers, voici les 5 qui répondent au plus près aux exigences en matière de respect de l’environnement :
  • FSC recyclé : 100% recyclé dont 85 % de papiers usagés
  • Label Ange Bleu (Blauer Engel) : label allemand 100% recyclé, sans produits chimiques
  • PEFC Recyclé : 70% recyclé
  • PEFC Certifié (forêts certifiée ou recyclage)
  • Label Apur : au minimum 50% recyclé

Pour aller + loin :

Scindées en 4 étapes, les recommandations de l’ADEME (Agence de la transition écologique) pour une communication responsable permettent d’identifier les leviers possibles à chaque étape du projet pour concevoir des objets imprimés les plus écologiques possibles : 

La fabrication d’une édition responsable
Écoconcevoir un projet éditorial
La diffusion d’un projet éditorial
Le bilan d’une édition responsable

Pour une lecture plus complète et mieux comprendre tous les enjeux, le guide imprimé de la commande responsable

Le cours 2024 – « Communication responsable » de l’AACC et de l’ADEME


Bibliographie :

« L’écoconception pour les graphistes » de Lucile Quéro aux éditions Pyramyd 

« Design, de la nature à l’environnement, nouvelles définitions » chez T&P Publishing, dirigé par Catherine Geel

« Design pour un monde réel » de Victor Pananek aux Presses du Réel, écrit aux débuts des années 70 et toujours d’actualité…

« L’impact de la RSE sur l’image de marque » par Anne-Sophie Ban aux Éditions Universitaires européennes

« Communication et marketing responsables – Enjeux et pratiques d’un secteur en révolution » de Assaël Adary aux éditions Dunod


La rédactrice
Formée au design graphique à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Clara Debailly travaille l’image, le texte, et parfois la relation entre les deux. Aborder les sujets sociétaux par le prisme de la communication visuelle et des représentations lui semble être la façon la plus intéressante d’explorer de nouveaux territoires, et de les faire découvrir. 
Elle est la première à rejoindre la team des auteurs Swash !
 
Photo de couverture : © Freepik
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